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dimanche 3 juin 2012

Les oeufs au lait de tata Maité...


On a tous, enfouis quelque part, de lointains souvenirs terriblement liés à la nourriture et aux odeurs. Proust n’a rien inventé.
Et bien souvent la personne « refuge » chez qui nos chagrins trouvaient apaisement, et nos terribles soucis d’enfants oreille compatissante, est aussi celle dont on garde des souvenirs culinaires émus. Souvent rien de bien extraordinaire d’ailleurs, c’était avant l’ère de la gastroculpabilisation. Une soupe, une crème, un riz au lait, un biscuit, tout simples et sans rodomontades, dans un ramequin ébréché ou une vieille assiette, mais qui accompagnaient sans doute, toujours à point nommé, les bras ouverts, le baiser au front ou les paroles qui rassurent.
Moi j’avais tata Maité.
En plus d’avoir des mains qui pouvaient contenir mon visage entier et des bras gigantesques capables de calmer toutes les peines du monde, elle passait le plus clair de son temps dans la cuisine à chanter, entre autres, une rengaine* qui ressemblait à « Oh tante Adèle, oui je vous prendrai pour modèle, et mettrai des robes montantes lorsque j’aurai des rides au cou… », et faisait des œufs au lait. Dans un énorme moule, qu’elle renversait sans jamais en briser un morceau. C’est ainsi qu’elle les appelait. Culinairement parlant, le terme exact devrait être « crème renversée », mais je m’en fiche. Moi ce sont ses somptueux et crémeux « œufs au lait » baignés de caramel arrivant, tremblotants, sur la table de la cuisine, qui m’ont laissé en bouche la douce amertume d’un improbable "revenez-y". Depuis, la vieille cuisine en ciment de la vieille demeure de famille a dû être ravalée 10 fois par ses indénombrables nouveaux propriétaires. Depuis, j’ai perdu le chemin de la maison. Depuis, on m’a servi des dizaines de crèmes renversées ou pas, ratées, trop cuites, parfois pleines de trous ou frisant dangereusement le goût de l’omelette, voire également très bonnes, mais dont aucune n’a jamais eu le goût inégalable du réconfort inconditionnel. Il y a sans doute des souvenirs qui méritent qu’on ne leur arrive pas à la cheville.
Et puis il y eut Plectrude, qui chante du matin au soir, et qui n’aime rien autant que touiller les casseroles debout sur une chaise. En hommage à l’affection qu’elles se seraient portée l‘une à l’autre si elles s’étaient connues, j’ai fouillé les carnets de recettes rescapés du vieux grenier pour faire revivre les œufs au lait de tata Maité. Hormis l’émotion de relire l’écriture désuète d’une dame qui écrivait un français absolument impeccable sans avoir jamais mis les pieds à l’école, j’ai été épouvantablement déçue. La recette miraculeuse était d’une affligeante banalité. Mais qu’espérai-je ? C’était, finalement, juste ... de banals œufs au lait.

J’ai tout suivi, scrupuleusement. Avec des œufs et du lait frais d’une ferme voisine, de la vanille rapportée de Madagascar et des temps de cuisson minutés fébrilement. Si j’avais pu traire la vache et pondre moi-même, je l’aurais sans doute fait. J’ai fait des « œufs au lait » culinairement excellents et sans âme, délicieux, toutefois, puisque Plectrude a léché tous les ramequins. Jusqu’au soir où, après une fin de journée très pénible, une tension palpable et une colère hystérique, épuisante, insupportable, que seule une enfant de deux ans et demi peut se permettre de faire avec la certitude écrasante qu’elle sera pardonnée, j’ai sorti du frigo les « œufs au lait de la paix ». Nous les avons mangés, toutes les deux, sans mot dire. J’ai vu ses yeux brillants, apaisés et le sourire sur ses lèvres.
Ils avaient le goût du réconfort inconditionnel. 




LES ŒUFS AUX LAIT AU CARAMEL:

Pour le caramel
-       200g de sucre
Pour les œufs au lait :
·         8 œufs
·         125g de sucre
·         1 litre de lait entier
·         1,5 gousse de vanille 

NE PRÉCHAUFFEZ PAS VOTRE FOUR (le démarrage à froid permet aux œufs au lait de ne pas rendre d’eau, de rester crémeux, et d’éviter l’effet esthétique « emmental »)
1 – Réalisez un caramel avec le sucre. A sec ou avec de l’eau suivant votre préférence. J’avoue, j’ai raté toute ma vie tous mes caramels (allez-y moquez-vous, et tant j’y suis j’avoue aussi que je rate systématiquement toutes mes confitures au point de ne jamais plus en faire et que je suis incapable de couper une plinthe en biseau. Voilà vous connaissez toutes mes lacunes…) jusqu’à ce que j’ouvre un livre de Pierre Hermé qui parlait de caramel à sec. Sans la moindre goutte d’eau. Depuis que j’utilise sa technique … ça marche ! Il suffit de répartir le sucre uniformément dans une poêle ou une casserole et de laisser brunir SANS REMUER.
2- Faites bouillir le lait avec les gousses de vanille fendues et bien grattées. Laissez infuser.
3 – Pendant ce temps battez les œufs avec le sucre. Verser le lait un peu tiédi en remuant doucement pour éviter de faire de l’écume (vous pouvez passer au chinois si vous le souhaitez).
4- Versez un peu de caramel au fond des ramequins puis recouvrez de l’appareil à « œufs aux lait ».
5- Préparez le Bain Marie : Mettre les ramequins dans un plat avec de l’eau arrivant au ¾.
6- Démarrer la cuisson à four froid , T° 120° pendant 20 min, puis 10 min à 180°, puis 5 min à 220°. Le secret du bain marie c’est que l’eau ne doit JAMAIS bouillir…
Sortez du four et laisser refroidir avant de conserver au réfrigérateur. Pour une saveur optimale, laissez-les à température ambiante 15mn avant dégustation.


Joyeux appétit...

NB : * Si quelqu'un quelque part est en mesure de me donner les référence et les paroles de la chanson de tante Adèle il recevra mon éternelle gratitude. Je déteste m'avouer vaincue mais là...
<Licence Creative Commons








5 commentaires:

  1. Anna Gavalda n'aurait pas mieux écrit ce mélange subtil entre les souvenirs et la réalité ... le tout sans être mélancolique, quoique ! Moi c'était ma grande tante qui faisait des tremblants qui ne s'effondraient pas lamentablement dans le plat. Et elle réussissait tout le temps le caramel, pour autant elle nous effleurait à peine de ses mains graciles et pâles de femme au foyer !

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  2. Magique, le truc du caramel sans eau !! J'ai tout fait comme dans la recette : des oeufs de ferme et de la vanille de Madagascar. J'ai même poussé le "vice" jusqu'à mettre du sucre de canne dans l'appareil. Seule entrave : le lait... Comme le fermier vient d'enlever son troupeau du pré en face de chez moi, je n'ai pas eu le courage de traverser tout le village avec mon tabouret et mon pot à lait en fer blanc et d'aller sauter la clôture pour soutirer quelques décilitres de lait mousseux et fumant à Marguerite... J'ai donc dû me contenter de lait 1/2 écrémé (mais bio...). En tout cas, le résultat était juste... Mmhhhh !!! Des recettes "banales" comme ça, on en redemande... VB

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  3. avant de me lancer,une petite question technique,puisque le moindre détail compte, entre raté et réussi,la frontière est bien mince: puisqu'on met les ramequins et le bain marie à four froid, à partir de quand commence t'on à décompter les 20 premières minutes? attend on que le four soit monté de froid à 120 ° pour démarrer le compte à rebours? "Allo Houston,nous avons un problème" merci si quelqu'un peut éclairer ma lanterne...

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    1. Mais non, nous n'avons aucun problème, les 20 minutes se décomptent à partir du moment où on enfourne les ramequins, et à la 20e minute on augmente la température du four de 120° à 180°. Voilà.

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  4. J'aime ces récits pleins de souvenirs qui sentent les fleurs séchées, les vieux livres et autres vieilleries pleines de tendresse. Vu que je n'ai que très peu de souvenirs culinaires, outre des flous concernant le talent incontesté de ma grand-mère pour la cuisine, mais perdue de vue il y a des années, tu combles ce vide que seule une tante affectueuse aux mains rêches de travail et douces à la fois, aurait pu remplir. Merci pour cette recette qu'il me tarde de tester. Bisous.

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