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vendredi 5 avril 2013

Vatapa Baiano (Brésil)


« Qu’on me laisse en paix avec mon deuil et ma solitude. Ne me parlez plus de ces choses, respectez mon veuvage. Revenons au fourneau : un plat soigné et recherché est le vatapá de poisson, le plus remarquable de toute la cuisine de Bahia. Ne me dites pas que je suis jeune, car je suis veuve et morte pour toutes ces choses. Un vatapá pour dix personnes et qu’il en reste, comme il se doit.
Préparez deux baudroies bien fraiches. Prenez du sel, de la coriandre, de l’ail et de l’oignon, quelques tomates et un jus de citron.
Quatre cuillers à soupe de la meilleure huile d’olive portugaise ou espagnole ; j’ai entendu  dire que la grecque est encore meilleure, je ne sais.
Si je trouve un fiancé, que faire ? Quelqu’un qui s’emparerait de mon désir mort, enseveli avec le défunt ? Que savez-vous, petites, de l’intimité des veuves ? Désir de veuve n’est que désir de débauche et de péché, une veuve sérieuse ne pense pas à ces choses et n’en parle pas. Laissez-moi en paix dans mon brasier.
Faites revenir le poisson dans tous ces condiments et faite le cuire dans un  petit peu d’eau, un petit peu seulement, presque rien. Puis il suffit de passer la sauce et la mettre à part, et continuons.
Si ma couche est un triste lit pour dormir, rien que pour dormir, sans autre raison d’être, qu’importe ? Tout au monde a ses compensations. Rien de mieux que de vivre tranquille, sans cauchemar, sans désir, sans se consumer avec le ventre en feu. Il ne peut y avoir de vie meilleure que celle de veuve sérieuse et avisée, une vie paisible, libérée de l’ambition du désir. Pourtant, si ma couche n’était pas un lit pour dormir, mais un désert à traverser, un sable échauffant de désir et sans issue ? Que savez-vous de la vie secrète des veuves, de leur couche solitaire ? Vous êtes venues ici pour apprendre à cuisiner et non pour savoir le prix du renoncement, le prix à payer en angoisse et solitude pour être une veuve honnête et circonspecte. Continuons la leçon.
Prenez une râpe et deux noix de coco bien choisies – et râpez. Râpez avec énergie, allons râpez : on dit que l’exercice évite les mauvaises pensées (…)
(…)Si le vatapá parfumé de gingembre, de poivre, de cacahuètes, n’est pas encore assez fort pour donner de la chaleur aux convives, faut-il ajouter d’autres condiments ? Est-ce vraiment nécessaire ? Jamais je n’ai eu besoin de gingembre ni de cacahuètes ; c’étaient la main, la langue, la parole, la lèvre, son profil, sa drôlerie, c’était lui qui me découvrait du drap de lit et de la pudeur pour la folle astronomie de son baiser, pour m’allumer en étoiles dans son miel nocturne.
(…) Je suis une veuve, il ne sied même pas à mon état de parler de ces choses. Veuve penchée sur le fourneau pour cuisiner le vatapá, pesant le gingembre, l’arachide, la poivre malaguette, et rien de plus.
                                                                                                         
Jorge Amado
                                                                                              Dona Flor et ses deux maris - 1966






Le vatapá,en sus d’un délicieux prétexte littéraire à l’un des plus grands auteurs brésiliens, est un plat « originaire » de la région de Bahia au Nordeste du Brésil. « Originaire » avec des guillemets tant cette cuisine aux croisements des cuisines ibériques, indigènes et africaine est métissée et inventive. Le mot vient d’ailleurs de la langue Yoruba (peuple africain ayant payé un lourd tribut à la traite des esclaves) dans laquelle il signifie « pâte épicée de fruits de mer ». Ce plat, quand il est richement agrémenté de poisson ou crevettes se sert seul avec du riz, mais sa version moins garnie, ici présentée, sert aussi à garnir les acarajé, ces beignets frits de pâte de haricots, emblèmes de la cuisine de rue bahianaise. (J’ai passé une journée entière à essayer de faire ces beignets, je dis bien essayer, que je mettrai prochainement en ligne dans la rubrique « massacre en cuisine …)

C’est un ragout de pâtes de crevettes séchées, arachides, noix de cajou, épaissi avec du pain mouillé de lait de coco. Sa belle couleur traditionnelle jaune (que le mien n’a pas !) vient de l’utilisation exclusive… d’huile de palme, qui est naturellement de couleur rouge-orangée. Outre les piètres qualités nutritionnelles de cette huile, riche en acides gras saturés, et sa surconsommation mondiale controversée (facteur de déforestation pour planter des palmiers à huile), même si j’avais eu le culot de vouloir en acheter j’aurais probablement dû faire 100 km. J’ai donc utilisé de l’huile d’olive pour mon vatapá, comme Dona Flor,  et j’ai triché en rajoutant à la sauce un peu de concentré de tomate, histoire de lui donner une couleur un peu ocre.  Malgré tous mes efforts, le résultat bien que moins coloré que celui des rues de Salvador de Bahia, est délicieux (mais pas léger-léger, je vous le concède…)









Vatapa Baiano

  • 2 oignons
  • 1 oignon nouveau (ou 4 ciboules)
  • 80g de crevettes séchées (supermarchés asiatiques)
  • 3 gousses d’ail
  • 2 cm de gingembre frais haché (environ 20g)
  • 2 petits piments
  • 125 d’arachides grillées non salées (ou pâte d’arachide pure, attention hein je n’ai pas dit beurre de cacahuètes !)
  • 125 g de noix de cajou grillées non salées (ou pâte de noix de cajou pure)
  • Sel
  • Huile végétale (la recette actuelle utilise du dendê, huile de palme, moi j’ai pris de l’huile d’olive)
  • 200g de pain de la veille
  • 1 boite de 400ml de lait de coco
  • 3 tomates pelées et concassées
  • Un peu de concentré de tomates (facultatif)
  • 150g de crevettes crues, pelées, décortiquées.


  • Mettez les oignons, ciboules, crevettes séchées, ail, gingembre, piments, arachides et noix de cajou dans un mixer et réduisez en purée, en ajoutant un peu d’eau si nécessaire.
  • Imbibez le pain coupé en morceaux avec le lait de coco, puis passez le tout au mixer.
  • Faites chauffer 2 CS d’huile dans une sauteuse et faites revenir la pâte de crevettes pendant 3-4 min. Ajoutez les tomates concassées, le mélange pain-lait de coco, les crevettes et laissez cuire une dizaine/quinzaine  de minutes sans cesser de remuer.
  • Rectifiez l’assaisonnement en sel si nécessaire (les crevettes séchées étant déjà assez salées)




Joyeux appétit...

4 commentaires:

  1. Je te souhaite le bonjour,et que cette journée te soit agréable.
    En lisant ce bel extrait, j'avoue que je me suis sentie perdue au début,puis dubitative!!!!!!!!!!
    et rassurée au final.
    Que ces choses sont bien dites.......
    Pour en revenir à ta recette, est-ce que l'huile de rocou ne ferait pas l'affaire pour ce qui a trait à la couleur???+l'huile d'olive pour le goût.
    Suivant ta réponse, je me lancerai(et sans filet)pour découvrir ce plat.
    Bien amicalement et encore MERCI, pour toutes ces belles découvertes. Chris 06

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    1. Bonjour Christiane et merci de ta visite, En effet, bonne idée, de l'huile de rocou ou quelques graines de rocou revenues dans l'huile devraient donner une couleur jaune semblable à celle de l'huile de palme. N'hésite pas à revenir laisser tes impressions si tu te décide à le tester . Très bon weekend !

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  2. Essayez d'utiliser de la POUDRE de Roucou, comme colorant. C'est ce que l'on utilise couramment ici au Brésil, ou on appelle ça Urucum, ou aussi "açafrão da terra". Un peu, très peu! d'huile de palme donne aussi un bon petit goût, mais pas assez de couleur à mon avis...

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    1. Mais bien sûr...! J'en utilise pour colorer mon Bun Bo Hue vietnamien et n'y avais même pas pensé pour cette recette ! Merci pour l'astuce!

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