Avant qu’elle ne devienne
mon aromate préféré avec la feuille de kaffir, j’ai haï la coriandre. Enfant ou ado, lors de mes rares
sorties de l’époque au restaurant vietnamien, cette herbe très aromatique que
je ressentais comme une violente agression sensorielle et dont je ne
connaissais même pas le nom, me gâchait systématiquement ma soupe. Je m’appliquais à
en extraire toutes les feuilles une à une, mais il restait invariablement dans le
fond du bol quelques miettes passées au travers de mon inspection qui me
pourrissaient la dernière gorgée, et me laissaient dans la bouche un
épouvantable arrière-goût qui durait jusqu’à la fin des nems.
Je n’ai aucun souvenir de la
période ni des raisons pour lesquelles mes goûts ont changés. Aujourd’hui, alors
que j’apprécie très modérément son cousin persil, je pourrais en revanche manger de la
coriandre en taboulé, ou en « persillade » sur à peu près
tout et n’importe quoi.
Les membres du site web I HATE CILANTRO (si, si ) qui proclament “En fait nous sommes les personnes les plus
rationnelles au monde. Aucun être humain en état de fonctionnement normal ne
peut considérer, à aucun moment de sa vie, la coriandre comme comestible »,
ont enfin un argument de poids pour justifier de leur « normalité ».
23&Me une société de biotechnologie californienne donc l’activité principale est l’analyse
ADN des particuliers, a comparé les données génétiques de 25000 individus pour
constater qu’un nombre significatif de ceux qui trouvent que la coriandre pue
le savon ou la punaise écrasée (sic), posséderait un gène codant des récepteurs
olfactifs, en particulier un, l’OR6A2, détecteur des aldéhydes (qui sont
des composants clés du parfum de la coriandre, ainsi que du savon .... ainsi que des punaises).
L’institut Monell de recherche
sur l’odeur et le goût (Philadelphie) a
publié la semaine dernière une autre étude portant sur les perceptions
sensorielles de différents goûts d' aliments (dont la coriandre) chez des
jumeaux, montrant également l’existence d’une influence génétique sur celles-ci.
Parmi toutes ces preuves de
"prédestination" qui vont totalement à l’encontre de mon expérience personnelle,
la réponse la plus nuancée vient du Dr Gottfried, neuroscientifique de l’université
de Northwestern, comme moi ex-coriandrophobe converti. Il rappelle que le goût
et l’odeur ont une importance première dans l’instinct de survie et évoquent
des émotions fortes, car ils étaient des sens critiques pour trouver de la
nourriture en évitant les poisons et les prédateurs. Quand nous goûtons à une
saveur nouvelle, le cerveau « scanne » en quelque sorte sa base de
données pour trouver une expérience passée à laquelle elle appartient. Si ce
goût ne rentre pas dans le cadre d’une expérience familière mais rappelle, par
exemple, des produits détergents, le cerveau détecte la discordance et la
menace potentielle, ce qui génère des réactions de rejet.
Heureusement, toute nouvelle
expérience amène le cerveau à mettre à jour sa base de données et à pouvoir
modifier la perception d’un aliment. Ouf.
« Je n’aimais pas la
coriandre, explique-il, mais j’adorais manger et, par force, je la croisais
régulièrement dans mon assiette. Mon cerveau a donc développé d’autres
expériences liées à la coriandre, comme le plaisir d’autres saveurs qui lui étaient
associées, ou les moments partagés en famille ou entre amis. Alors, j’ai
commencé à l’aimer. Je trouve qu’elle sent toujours le savon mais ne la ressens
plus comme une menace, et j’apprécie toutes ses autres qualités. En revanche, si
après la première fois que j'y ai goûté j’avais refusé d’y toucher à nouveau,
je n’aurais jamais eu aucune chance de modifier cette perception ».
C'est donc vrai ? Il suffit d'essayer de goûter 7 fois quelque chose, dans des conditions favorables, avant d'arriver à l'aimer ?
J’attends donc avec impatience
que Jason Statham me fasse bouffer pendant une semaine des salsifis sur une terrasse en bois
couverte de fleurs de frangipaniers et surplombant l'océan.
Je vous tiens au courant …